dimanche 9 janvier 2011

Les Contrastes, de Bartók (1)

L’histoire de Contrastes commence en août 1938. Dans une lettre adressée à Béla Bartók, le violoniste Joseph Szigeti officialise la commande, en collaboration avec le clarinettiste Benny Goodman, d’un « duo clarinette-violon, avec accompagnement de piano ».Il souhaite que la pièce comporte « deux mouvements indépendants, pouvant éventuellement être joués séparément (comme la première Rhapsodie pour violon) ».


Béla Bartók (1881-1945)

Par ailleurs, Szigeti fait la demande « d’une durée d’environ 6-7 minutes », « de façon qu’elle puisse être contenue sur un disque 78 tours », le format standard de l’époque. En ajoutant que, « bien-sûr nous espérons qu’elle inclura une cadence brillante pour la clarinette et pour le violon ! ». Szigeti et Bartók, tous deux compatriotes, entretiennent une relation depuis les années vingt. Szigeti est le créateur et dédicataire de la Première Rhapsodie pour violon et piano (1928). Szigeti présente Benny Goodman comme «l’idole mondialement connue de la clarinette jazz », invitant Bartók à ne pas être « effrayé par les disques hot jazz, Goodman ayant aussi enregistré le quintette de Mozart avec le Budapest Quartet ». Szigeti lui assure que « tout ce que peut physiquement une clarinette, Benny peut le faire, et merveilleusement ». Bartók en tiendra d’ailleurs compte, puisque la partition est redoutable techniquement, montant jusqu’au contre-si bémol, et chargée de tant de notes que Goodman trouva que « la partition semblait couverte de chiures de mouches »...

Benny Goodman (1909-1986)

Les Contrastes de Bartók ont été créés au Carnegie Hall de New York le 9 janvier 1939 par les deux dédicataires et Endre Petri au piano. La pièce porte alors le titre de "Rhapsodie pour clarinette, violon et piano", avec en sous-titre "Deux danses".
On perçoit donc clairement la référence aux deux mouvements traditionnels de la Czardas : lassù (verbunkos, danse de recrutement) et friss (sebes, danse vive).

Affiche de la création

Le succès est au rendez-vous.

Voici le témoignage de Szigeti : « Nous avons rejoué le deuxième mouvement parce qu’au cours de la première exécution ma corde de mi s’était cassée. Par le truchement de Benny Goodman, cette première a obtenu dans la presse un retentissement qu’aucun compositeur ou interprète de notre milieu ne pouvait espérer. »

Voici un extrait de la critique du “New York Times” du lendemain: "La pièce est aussi hongroise qu’un goulasch, et Mr Goodman a été assez artiste pour se retenir de toute insinuation au swing. En effet, en considérant qu'il avait probablement quitté la scène du Théâtre Paramount quelques minutes avant d’apparaître sur celle de Carnegie Hall, la pureté de son style, le brillant et la propreté technique ont été particulièrement admirables ».

Le critique a été impressionné par la musique, bien qu’à son avis, "Bartók n’a épargné ni les doigts, ni les oreilles, ni les lèvres des interprètes."

Szigeti, Goodman et Bartók

Au début de 1940, Bartók émigre aux États-Unis. Il plaide pour insérer un mouvement central (noté Intermezzo sur le manuscrit, puis baptisé Pihenö) entre le Verbunkos et la Sebes.

Le compositeur n’est pas convaincu du titre Rhapsodie. Il rejette aussi la proposition de Szigeti et Goodman, d’abord de "Deux Danses" puis "Trois Danses".

C’est finalement le titre de "Contrastes" qui va être retenu.

En 1941, Goodman et Szigeti vont enregistrer le trio avec Bartók lui-même au piano pour le label Columbia Records.

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