mardi 28 septembre 2010

Johannes Brahms, op 120

En 1890, Brahms achève son quintette à 2 altos opus 111, qu'il considère comme l'apogée de son génie créateur. Au point qu'il pense mettre un terme à son activité de compositeur.

Johannes Brahms (1833-1897)

En 1891, lors d'un séjour au palais de Meiningen, Brahms rencontre le clarinettiste Richard Mühlfeld.
Ce clarinettiste d'exception va l'inspirer, et c'est ainsi que vont naitre le Trio opus 114 puis le Quintette opus 115.

L'été 1894, à Bad Ischl, Brahms écrit les 2 sonates pour clarinette et piano opus 120.
Elles seront données en première audition par Mühlfeld et Brahms à Vienne en janvier 1895, puis dans plusieurs villes dont Leipzig, où elles connurent un grand succès.


Richard Mühlfeld (1856-1907), que Brahms surnommait "Fräulein Klarinette".

Richard Mühlfeld (1856-1907) a commencé sa vie de musicien comme violoniste à l'orchestre de la cour ducale de Meiningen, avant d'en devenir le clarinettiste solo.
Il fut aussi clarinettiste solo de l'orchestre du Festival de Bayreuth.

Richard Mühlfeld jouant sa clarinette Ottensteiner, système Baermann.

Voici un peu d'analyse musicale, à destination des musiciens en général et des clarinettistes en particulier.
Le sujet? l'allegro appassionato de la sonate pour clarinette et piano opus 120 n°1 en fa mineur.

Ce mouvement comporte 6 thèmes: 2 distincts et 4 autres provenant d'un matériau commun: le motif introductif.

Commençons par les 2 thèmes:

Thème 1.
à la mesure 5, thème lyrique, caractérisé par de grands intervalles expressifs:


repris au piano mesure 25:
D'après le manuscrit autographe, il apparait que Brahms avait d'abord pensé le thème de la clarinette à l'octave inférieure:

idée reprise à la ré exposition mesure 138:


Thème 2.
à la mesure 53, thème d'essence rythmique, noté ben marcato:





Ce qu'il y a de remarquable dans ce mouvement, c'est la profusion de thèmes et développements issus de ces mesures introductives:

Elles font certes office d'introduction, mais sont aussi un matériau, dans lequel Brahms va puiser pour donner naissance à de nouveaux thèmes:

Les cellules 1 et 3 (ci-dessus) transposées et augmentées, constituent le démarrage d'un nouveau thème:
Ce nouveau thème démarre avec l'intervalle de quinte ascendante puis tierce mineure ascendante (4).
En associant (4) aux 3 dernières croches de la cellule 1, Brahms crée un autre motif mesure 102 qui, dans le développement, va se métamorphoser et "voyager" dans différentes tonalités:

Le motif 1 se retrouve décliné dans la magnifique coda, d'abord comme une marche funèbre (mesure 227), puis repris à la clarinette, sotto voce (mesure 231), avant l'arrivée du fa majeur (mesure 233), qui va se déployer dans un grand arpège, s'élevant vers un paradis apaisé:


Je ne vous fais pas une analyse exhaustive de la partition afin de vous laisser tout le plaisir de découvrir par vous-même toutes les déclinaisons, toutes les métamorphoses auxquelles Brahms s'est livré à partir du motif introductif.

Schoenberg est le premier à avoir contesté l'image d'un Brahms "compositeur conventionnel".
Il appelle "variation développante" ce principe de développement de vastes sections à partir d'un matériau limité (comme un simple motif ou intervalle).

Webern aussi a insisté sur l'apport de Brahms pour sa propre œuvre: "Développer, à partir d'une pensée centrale, tout le reste! C'est la plus grande cohérence...Brahms a, dans ce domaine, une signification particulière."

"Ici on retrouve la flexibilité et l'élégance de F Héau et cette capacité de faire chanter les dolce et les pianissimi avec une réelle poésie". Répertoire, 05/2003

Au-delà de l'analyse, ce qui domine dans cette musique, c'est son contenu poétique, sans virtuosité. Claude Rostand décrit ces sonates comme "écrites pour soi, comme les feuillets d'un journal intime".

partitions extraites de Wiener Urtext Edition

dimanche 19 septembre 2010

"Forgive me, Charlie Parker, wherever you are!"

"Pardonne-moi, Charlie Parker, où que tu sois!"



"Ne quittez pas votre instrument, trouvez l'âme sœur, ne rabaissez jamais un autre musicien"

Charlie Parker.

dimanche 12 septembre 2010

respiration, ponctuation et expression!

Les "rimes millionnaires" (ainsi nommées parce que très riches) sont aussi appelées "vers holorimes", "rimes totales" ou encore "pantorimes".
Ce sont des vers qui riment sur toute leur longueur.

En voici un exemple:

Et vite, elle a, cette lavande hier
Hélas! sa beauté laissée choir.
Évitez-la, cette lavandière,
Elle a saboté les séchoirs.

(Et vite, elle a... devient: Évitez-la...)

ou encore:

Au Café de la Paix, grand-père,il se fait tard;
Oh! qu'a fait de la pègre en péril ce fêtard?
A voix haute, ces phrases sont rendues intelligibles par le regroupement des syllabes donnant sens au mot, la ponctuation (et la temporisation qu'elle implique) ainsi que l'articulation.

Philippe Geluck, Le chat, éditions Casterman.

Ce qui est rendu plus difficile dans les fameux "trompe-oreilles":

La pie niche haut, l'oie niche pas.
Mais où niche l'hibou?
L'hibou niche ni haut ni bas.

A lire, ceci ne pose aucun problème. Mais à voix haute, les trompe-oreilles donnent jusqu'à l'impression de ne pas être du français, ou de vouloir dire autre chose:

Sous un arbre, vos laitues naissent-elles?
(Sous un arbre volait une Estelle)

Ricardo Güiraldes (1886-1927)
La ponctuation implique une temporisation dans le débit du texte.
L'écrivain argentin Ricardo Güiraldes (1886-1927) avait proposé de remplacer toute la ponctuation par les signes musicaux (toute la gamme des silences et points d'orgues, mais aussi les nuances et signes d'expression).

Car la ponctuation amène aussi l'expression, avec notamment le point d'exclamation ou les points de suspension.

En 1966, Hervé Bazin utilise dans Plumons l'oiseau, le nouveau "point d'ironie" (inventé par Alcanter de Brahm) et suggère de se servir d'autres signes de ponctuations qu'il appelle "points d'intonation": point exclarrogatif, de doute, d'acclamation, d'autorité, d'amour ou d'indignation.

En musique, le bon placement des respirations est essentiel pour la compréhension des phrases.
Voici un extrait de la 1ère pièce pour clarinette seule de Stravinsky:

3 pièces pour clarinette seule, Igor Stravinsky, éditions Chester.

La première respiration après seulement 3 temps n'est bien-sûr pas une nécessité physique. Mais cette césure permet de dissocier et mettre clairement en évidence les 2 membres de la phrase (nommons les A et B). Le demi-soupir la conclut.

La phrase suivante reprend les notes de A et B (à l'exception du sol#).
Et là, c'est l'articulation (grâce aux 2 liaisons) qui permet de rendre intelligible la construction.
A condition que l'interprète la donne à entendre clairement!

Voici un extrait de la 2ème pièce:

3 pièces pour clarinette seule, Igor Stravinsky, éditions Chester.
Sans la respiration, l'auditeur aura peut-être du mal à identifier les deux motifs différents, et la musique s'en trouvera plus confuse.

A force de travailler la partition, le découpage des phrases devient évident. Gardons à l'esprit qu'il est nécessaire de le donner clairement à entendre aux auditeurs, dont certains découvrent l'œuvre pour la première fois.

lundi 6 septembre 2010

je ne suis pas superstitieux...ça porte malheur

La tradition veut que l'on ne souhaite pas "bonne chance" à un artiste.

Chaque pays a donc développé ses propres expressions pour l'exprimer différemment:

En France, à l'époque où l'on se déplaçait en calèche, on pouvait mesurer l'affluence des spectateurs à la proportion de crottin devant le théâtre. Il était donc bienvenu de se souhaiter "beaucoup de merdes", signe de succès. D'où le fameux "merde!".

Au Royaume-Uni, on conjure le mauvais sort par un "Break a leg!" (casse-toi une jambe!), proche du "Hals und Beinbruch!" allemand (cou et jambe brisés!).

Le célèbre "toï toï toï" semble quant à lui venir de la répétition de la première syllabe de Teufel ( Diable en allemand).

Si vous êtes en Italie et que l'on vous dit "In bocca al lupo" (dans la gueule du loup), répondez "Crepi il lupo!" (que le loup crève!)

Dans tous les cas, le résultat n'est pas garanti...donc par précaution, je vous adresse à tous mes vœux pour que chacun donne le meilleur de lui-même le jour J!

PS: une dernière alternative, vue par Sempé: